Published on octobre 28th, 2021 | by Alioune Badara Mbengue
0Ousmane Sembène, écrivain et cinéaste sénégalais : Un homme de l’art dans toutes ses dimensions
La littérature négro-africaine s’est développée considérablement à partir du XXe siècle grâce à des pionniers qui ont balisé la voie et marqué de leurs empreintes son riche patrimoine. C’est dans ce sillage qu’en Afrique francophone, on ne peut parler de littérature ou de cinéma, sans pour autant mentionner le nom de l’autodidacte Ousmane Sembene. Écrivain et cinéaste africain, Ousmane Sembene demeure une figure de proue dans le champ de la création aussi bien littéraire que cinématographique.
Crédit Photo d’En-tête : Pixabay
De la Casamance (Sénégal) à Marseille (Marseille), un si long parcours :
Le 9 juin 2007, est décédé à Dakar le cinéaste africain le plus important jusqu’à nos jours et un romancier de renommée mondiale. Sembène Ousmane est né officiellement le 8 janvier 1923 à Ziguinchor, dans la région de Casamance, au sud du Sénégal. Il est probablement né 8 jours plus tôt, mais l’administration coloniale française était avant tout attachée au registre des impôts.
À Ziguinchor, Sembène connait une enfance à la fois heureuse et vagabonde. Il grandit dans une région traversée par le fleuve Casamance et avec beaucoup de marigots. Ainsi il résumera les premières années de sa vie par les 4 mots : l’eau, la pêche, les arbres et la chasse, dont ses œuvres porteront ombreuses traces (notamment dans son deuxième roman O pays, mon beau peuple ! en 1957).
Issu d’un milieu populaire, fils d’un père pêcheur de la Casamance, Ousmane Sembène a déserté les bancs de l’école à l’âge de 13 ans, après qu’il eût giflé son instituteur, Paul Péraldi, qui avait porté contre lui des accusations mensongères. Après quoi il a essayé diverses professions : mécanicien, maçon, ouvrier, fondeur, tirailleur (au 6e régiment, de 1942 à 1946).
En 1946, il embarque clandestinement pour la France et débarque à Marseille, où il vit de différents petits travaux. Il est notamment docker au port de Marseille, place de la Joliette, pendant dix ans. Il adhère à la CGT et au Parti communiste français, où il développe des convictions marxistes et militantes. Il joue d’ailleurs comme figurant dans Le Rendez-vous des quais de Paul Carpita, qui témoigne de la solidarité entre les indépendantistes indochinois et les dockers de la CGT. C’est à cette époque qu’il commence à s’intéresser à l’écriture et à la littérature. Il fréquente alors les bibliothèques de la CGT et commence à suivre des cours offerts par le PCF.
En 1956, il publie son premier roman, Le Docker noir qui relate son expérience de docker.
Ousmane Sembene : Une plume autodidacte et rebelle …
Sa première publication remonte donc à 1956, où il fait paraître un roman largement autobiographique où, en traitant de son expérience de docker à Marseille, il trouve moyen d’aborder des questions relatives à l’immigration et à la visibilité des minorités dans la société française de l’époque, souvent traitées alors avec condescendance.
L’année 1957 voit la naissance de son second opus, Ô Pays, mon beau peuple, l’histoire d’un jeune Africain, Oumar Faye, que ses attaches avec l’Occident – à commencer par son mariage – n’ont pu retenir de répondre à l’appel de sa Casamance natale. Rien n’y est simple pour autant, puisque toutes ses tentatives pour dépasser les difficultés du quotidien en revivifiant la vie villageoise se soldent par un échec, sa fin tragique valant paradigme pour tous les obstacles inhérents aux retours aux sources. À tous égards, il s’agit là d’une œuvre où Sembène a cristallisé une grande partie de son parcours, de sa sensibilité et des luttes qui l’ont animé.
Son troisième roman Les bouts de bois de Dieu, fait aujourd’hui statut de classique francophone. Sembene y peint avec une verve incomparable la véritable épopée menée plusieurs mois durant, par des hommes et des femmes du peuple lors de la fameuse grève des cheminots de 1947, à laquelle il avait lui-même pris une part active. Une grève où les idées paternalistes sur le “nègre bon enfant” jusque-là défendues par les colons ont été mises à mal et qui a marqué, sur le plan esthétique, un moment-clé dans la production romanesque de l’auteur à travers ce roman-repère qui chante le pouvoir de la lutte, à l’orée des indépendances.
De la Littérature au Cinéma : une démarche pédagogique !
C’est précisément de 1962 que datent les prémices de cette interférence incessante entre œuvre littéraire et œuvre cinématographique qui caractérise l’activité d’Ousmane Sembène, certains aspects de son écriture trouvant à se réinvestir chez le Sembène cinéaste.
A cet effet, le bilan que tire Ousmane Sembène de son incursion dans le champ littéraire est, pour partie au moins, amer et son avènement au cinéma peut se lire comme une tentative pour étendre les limites de ce mode de communication, reconnu comme trop intransitif dans le contexte de la société postcoloniale africaine en voie de construction.
C’est à cette aune, en effet, qu’il faut rapporter sa double carrière créative dont le partage éclaire un parcours d’autodidacte que guide une prise de conscience : à l’orée des indépendances, la littérature africaine n’est que peu fréquentée par des peuples autochtones laissés pour compte. Partant, elle ne participe que partiellement à la construction d’une identité nationale et à la réfection du patrimoine culturel. Pour le dire clairement, elle s’adresse à une intelligentsia bourgeoise postcoloniale coupée du peuple et tournée vers un médium linguistique dont la majorité n’a pas la maîtrise : le français.
Si bien que, si le monde élitiste de la littérature exclut de facto le peuple majoritairement analphabète, c’est par le truchement du cinéma qu’Ousmane Sembène entend réconcilier peuple et littérature, peuple et idées nouvelles pour le réveil d’une Afrique populaire qui s’autocritique et se jauge. Le passage est médité, qui compte remédier à la lecture et à ses exigences en lui substituant une visualisation supposée plus accessible.
Ainsi Sembène revendique un cinéma militant et va lui-même de village en village, parcourant l’Afrique, pour montrer ses films et transmettre son message. De fait, l’engouement des couches populaires pour le cinéma est avéré.
Silence on tourne !
Ousmane Sembene qui a été formé en 1961 dans une école de cinéma à Moscou, la VGIK, réalise dès 1962 son premier court-métrage Borom Sarret (le charretier), suivi en 1964 par Niaye qui gagnera le Prix CIC du festival de court métrage de Tours et une mention spéciale au Festival international du film de Locarno.
Ce dernier raconte l’histoire d’une famille noble des Niayes (régions rurales du Sénégal) qui se voit déshonorée après que le père ait commis l’inceste sur sa fille. Ce film est l’adaptation cinématographique de sa Nouvelle Vehi-Ciosane ou Blanche-Genèse.
En 1966 sort son premier long-métrage, qui est aussi le premier long métrage « négro-africain » du continent, intitulé La Noire de… (prix Jean-Vigo de la même année). D’emblée, Ousmane Sembène se place sur le terrain de la critique sociale et politique avec l’histoire d’une jeune Sénégalaise qui quitte son pays et sa famille pour venir en France travailler chez un couple qui l’humiliera et la traitera en esclave, la poussant jusqu’au suicide.
Considéré comme l’un de ses chefs-d’œuvre et couronné par le Prix de la critique internationale au Festival de Venise, Le Mandat (1968) est une comédie acerbe contre la nouvelle bourgeoisie sénégalaise, apparue avec l’indépendance.
En 1979, son film Ceddo est interdit au Sénégal par le président Léopold Sédar Senghor (lui-même académicien et poète) qui justifie cette censure par une faute d’orthographe : le terme ceddo ne s’écrirait (selon lui) qu’avec un seul « d ». Le pouvoir sénégalais ayant en fait à cœur de ne pas froisser les autorités religieuses, notamment musulmanes. En effet Sembène y relate la révolte à la fin du XVIIe siècle des Ceddo, vaillants guerriers traditionnels aux convictions animistes qui refusent de se convertir.
Il attaque ainsi avec virulence les invasions conjointes du catholicisme et de l’islam en Afrique de l’Ouest, leur rôle dans le délitement des structures sociales traditionnelles avec la complicité de certains membres de l’aristocratie locale.
En 1988, malgré le prix spécial du jury reçu au Festival de Venise, son film, Camp de Thiaroye, ne sort pas en France. Il a acquis ainsi une réputation de film censuré. Ce long-métrage est un hommage aux tirailleurs sénégalais et surtout une dénonciation d’un épisode accablant pour l’armée coloniale française en Afrique, qui se déroula à Thiaroye en 1944. Le film ne sera diffusé en France que vers le milieu des années 1990.
Bibliographie
Romans
1956 : Le Docker noir
1957 : Ô pays, mon beau peuple
1960 : Les Bouts de bois de Dieu
1962 : Voltaïque
1964 : L’Harmattan
1965 : Le Mandat
1966 : Vehi-Ciosane, ou Blanche-Genèse ;
1973 : Xala, Présence africaine, rééd. 1995
1981 : Le Dernier de l’Empire
1987 : Niiwam, suivi de Taaw,
Filmographie comme réalisateur et scénariste
Courts métrages
1963 : Borom Sarret
1963 : L’Empire songhay (documentaire)
1964 : Niaye
1970 : Taaw
Longs métrages
1966 : La Noire de…
1968 : Le Mandat (Mandabi)
1971 : Emitaï (Dieu du tonnerre)
1974 : Xala
1977 : Ceddo (+ acteur)
1987 : Camp de Thiaroye
1992 : Guelwaar
2000 : Faat Kiné
2003 : Moolaadé
Sources
Documents Personnels
Wikipédia
Journal.openedition.org
Cet article a été traduit en anglais par John Wilmot.