Un Cézanne caché refait surface : au cœur de la dernière découverte à la Bastide du Jas de Bouffan
Paul Cézanne a légué au monde de nombreux chefs-d’œuvre, mais aussi des indices — des coups de pinceau oubliés, restés cachés pendant plus d’un siècle derrière les murs frais et silencieux de sa maison d’enfance, la bastide du Jas de Bouffan à Aix-en-Provence. Ce printemps, après des mois de recherches scientifiques minutieuses, les restaurateurs ont levé le voile sur une nouvelle couche d’histoire, révélant un décor pictural éclatant qui relie directement les premières expérimentations du peintre au grand salon où il a appris à manier le pinceau.

En 1859, alors que Cézanne n’a que vingt ans, son père acquiert cette bastide du XVIIIe siècle. Rapidement, le jeune artiste transforme l’intérieur de la maison en un véritable atelier vivant. Il peint les murs de fresques monumentales, de scènes portuaires, d’allégories, et de paysages de sa Provence natale. Si beaucoup de ces œuvres murales ont été déposées au fil des décennies — certaines ont rejoint les plus grands musées du monde, d’autres sont passées dans des collections privées — les spécialistes soupçonnaient depuis longtemps que des fragments avaient survécu sous des couches de chaux et de silence.
Depuis que la Ville d’Aix-en-Provence a acquis la bastide en 1994, puis la ferme attenante en 2017, un travail de recherche pluridisciplinaire s’est mis en place. Historiens de l’art, spécialistes des pigments, architectes du patrimoine, restaurateurs : tous ont collaboré pour traquer les traces enfouies. Leurs efforts ont été récompensés en 2023, lorsqu’un fragment mural de 5 à 6 m² représentant une scène de port a été mis au jour dans le grand salon. Cette révélation, saluée dans la presse culturelle française et internationale, a poussé la Maire Sophie Joissains à intensifier les investigations.
Les équipes de recherche viennent de franchir une nouvelle étape. Juste au-dessus de l’alcôve centrale du salon, elles ont révélé un large médaillon peint — dans des tons ocre, bleu profond et vert vif — encadré de gypseries finement décorées. Les couleurs, la facture et les motifs rappellent directement les célèbres panneaux des « Quatre Saisons » que Cézanne avait réalisés quelques années plus tôt sur les parties basses de la pièce. Il ne fait plus de doute que le jeune artiste concevait ce salon comme une œuvre d’ensemble, un environnement pictural total.
« Nous sommes dans un décor de palais, pensé et exécuté avec audace », affirme Sophie Joissains. Avant même que la nouvelle ne soit rendue publique, les entreprises Sinopia (spécialiste des décors peints) et Bouvier (restauration des gypseries), sous la conduite des architectes du patrimoine Archigem, ont réalisé un travail de datation complexe : analyses des pigments, coupe des couches de vernis, croisement avec les techniques picturales de l’époque. Tout concorde : cette œuvre est bien de la main du jeune Cézanne.
La découverte arrive à point nommé. Le 28 juin, le musée Granet d’Aix-en-Provence a inauguré une grande exposition intitulée « Cézanne en création », rassemblant plus de 130 œuvres peintes par l’artiste entre 1859 et 1899, dans et autour du Jas de Bouffan. Les prêts viennent des plus grands musées du monde — le Met, le musée d’Orsay, la National Gallery — et de collectionneurs privés. Désormais, les visiteurs pourront admirer ces chefs-d’œuvre de chevalet tout en découvrant, à quelques minutes de là, le salon originel de la bastide, dont la restauration progressive sera ouverte au public à partir du même jour.


Les chercheurs n’en ont pas terminé. D’autres fragments sont peut-être encore cachés sous les enduits. Cézanne travaillait-il seul ? Ses amis, comme Émile Zola, ont-ils un jour participé à ce chantier mural ? Les prochaines campagnes de sondage, à l’aide de réflectographie infrarouge et de micro-prélèvements, tenteront de répondre à ces questions.
En attendant, le médaillon nouvellement révélé témoigne d’une vérité éclatante : Cézanne ne se contentait pas de peindre des paysages. Il construisait des mondes. Et à Aix-en-Provence, ces mondes refont peu à peu surface. Pour ceux qui s’apprêtent à visiter la ville cet été, un passage par la bastide devient tout simplement incontournable.
French Quarter Magazine suivra la restauration tout au long de l’année Cézanne. Retrouvez des carnets de terrain, des interviews de conservateurs et des conseils de voyage pour les visiteurs se rendant en Provence cet été.
Crédit Photo d’En-tête : Bastide du Jas de Bouffan, Aix-en-Provence © photo Michel Fraisset