Québécoise, Patriote, Poète et Prolétaire
Les charmantes villes de Boucherville, Varennes, Contrecœur et Sorel se tiennent telles des sœurs le long du fleuve Saint-Laurent, unies par l’histoire, la culture et un esprit commun. Ces communautés riveraines possèdent un charme intemporel qui continue de captiver les visiteurs, tout comme il y a plus d’un siècle.
Cet article, intitulé Boucherville et rédigé il y a 125 ans par l’écrivaine québécoise remarquable Éva-Circé-Coté (sous le pseudonyme Colombine), demeure un vibrant hommage à l’un de mes lieux de prédilection pour l’été. Écrit en 1901, son style est à la fois poétique, poignant et profondément incisif.

Éva-Circé-Coté commence par inviter ses lecteurs à découvrir ces petites villes comme des échappatoires idylliques à l’effervescence montréalaise, alors accessibles seulement par ferry ou par le pont Victoria — unique passage à l’époque. Aujourd’hui, le site abrite le Club nautique de Boucherville où des feux d’artifice spectaculaires illuminent le ciel chaque Fête nationale du Québec, perpétuant la tradition des célébrations passées.
Mais ce qui débute comme une invitation au loisir se transforme en une leçon d’histoire émouvante, honorant les sacrifices des Patriotes lors de l’insurrection de 1837-1838. L’histoire, à l’instar du fleuve lui-même, suit un cycle incessant — un flux et reflux que capture avec grâce Éva-Circé-Coté.
Plus d’un siècle plus tard, les visiteurs peuvent encore contempler ce qu’elle décrivait comme « les vagues petites montagnes floconneuses à l’horizon, se détachant sur un fond bleu plus sombre ». Le sanctuaire ornithologique offre un havre pour écouter les chants des fauvettes, rossignols et autres espèces indigènes, invitant à une retraite naturelle sereine.
Aujourd’hui, le boulevard Marie-Victorin sépare le rivage de l’église Sainte-Famille, mais un dimanche, on peut toujours entendre les cloches qu’elle décrivait comme « la cloche jette dans l’air ses ding din don retentissant ».


Sa relation complexe avec l’église transparaît — elle n’ose jamais la nommer explicitement, laissant entrevoir une certaine amertume. Cette tension se manifeste dans son récit de Pierre-Amable Boucher, dernier d’une lignée de seigneurs portant ce nom. Contrairement à ses ancêtres reposant dans la crypte de l’église, les cendres de Boucher auraient été déposées ailleurs — sans doute en raison de son rôle dans l’insurrection des Patriotes.
Éva-Circé-Coté était profondément investie dans cette histoire, ayant mené des recherches pour une pièce de théâtre qu’elle a écrite, Hindelang et De Lorimier, qui dramatisait la vie de leaders patriotes exécutés en 1839. Sa représentation de Boucher et de ses compagnons témoigne d’un engagement passionné pour la justice et la mémoire.
Elle décrit avec émotion la pierre tombale de Boucher, portant la date de 1852 — détail troublant puisque sa mort remonte à 1857. Il s’agit peut-être d’une référence métaphorique à une initiative de 1852 visant à honorer collectivement les cendres des Patriotes, ajoutant ainsi des nuances au récit qu’elle tisse.
Au-delà du patriotisme, Éva-Circé-Coté fut une ardente défenseure de la langue française et une réformatrice sociale dont les idées rejoignaient celles de l’activiste féministe et ouvrière américaine Voltairine de Cleyre. Bien qu’elles ne se soient jamais rencontrées, les deux femmes partageaient un engagement fort pour les droits des femmes et des travailleurs — des causes centrales à la vie et l’œuvre d’Éva-Circé-Coté.
Elle fut également une fervente protectrice de l’héritage des poètes québécois Octave Crémazie et Émile Nelligan, préservant leurs contributions culturelles avec la même ferveur qu’elle dédiait aux causes politiques.
Sa vie et son œuvre résistent à tout résumé simpliste ; sa biographe Andrée Lévesque a consacré près de 500 pages à son histoire. Ce qui demeure incontestable, c’est que, par les mots d’Éva-Circé-Coté, le passé continue de s’exprimer, invitant à la réflexion sur la riche mémoire culturelle et politique du Québec.
Références :
Colombine, Boucherville, Bleu, blanc, rouge : poésies, paysages, causeries, Montréal, 1903
Lévesque, Andrée, Éva Circé-Coté, Libre-Penseuse 1871-1949, Montréal, Les éditions du remue-ménage, 2017
David, Laurent-Olivier, Les Patriotes de 1837-1838, Montréal, 1884