Published on janvier 6th, 2022 | by Isabelle Karamooz, Founder of FQM
0Interview de Robert Couturier, décorateur d’intérieur et amoureux de la « Big Apple »
Comme chaque mois à venir, nous présenterons le portrait d’un expatrié. Cette semaine, nous avons eu la chance de rencontrer Robert Couturier qui a quitté son Paris natal il y a 40 ans et vit à New York depuis ce jour. Il a grandi à Paris dans un milieu privilégié très attaché aux valeurs françaises, sa voix le distingue d’emblée, celle qui s’apparente d’un gentleman dont le regard se veut résolument tourné vers l’avenir, un architecte d’intérieur et grand amoureux de la « Big Apple » ! Partons à sa rencontre dans cette interview sur la forme de questions/réponses.
Pourquoi et comment êtes-vous arrivé à New York aux Etats-Unis ?
J’ai toujours été très intéressé par ce pays. Mon père a été élevé en partie aux Etats-Unis parce que sa famille s’est installée sur le continent américain en 1934-35. Mon père a étudié au collège au Canada et ma grand-mère avait toujours un appartement à New York où je passais la plupart de mes vacances pour la voir. En 1970, je me suis installé à New York pour un an, puis je suis revenu en 1980 et je n’en suis jamais reparti. Cela fait maintenant 40 ans que je vis dans la « Big Apple » et que j’y ai posé définitivement mes valises !
Qu’est-ce qui fait que vous affectionnez tant cette ville aka « your second home » ? Quelle a été votre première aventure d’architecte d’intérieur ?
Diplôme en poche, j’ai commencé à travailler pour un monsieur qui s’appelait Adam Tihany à la fin des années 1970. Il m’a repéré et engagé pour effectuer mon premier stage durant l’année 1979-80. Cet homme célèbre était l’architecte décorateur qui a ouvert différents hôtels et restaurants de luxe et a créé beaucoup de boîtes de nuit. C’est là que j’ai commencé à côtoyer des gens venus d’univers très différents : personnalité extravagante ou élégante, vedettes hollywoodiennes, dandies sans le sou, grandes familles new-yorkaises, artistes, dealers en vogues, parmi tant d’autres.
Après cinq années de collaboration avec Adam Tihany, j’ai ouvert mon propre bureau à Manhattan en 1986-87.
C’est alors que le hasard vous fait rencontrer l’homme d’affaires franco-britannique James Goldsmith… Il a été une inspiration pour vous. Racontez-nous quelque chose d’inhabituel qui s’est produite dans votre carrière ?
Je crois que la chose la plus inhabituelle est évidemment ma rencontre avec James Goldsmith parce que c’était un homme absolument exceptionnel à tous les niveaux. C’était un homme hors du commun, qui était d’une intelligence absolument remarquable, d’une rapidité de pensée extraordinaire, d’une clarté étonnante, d’une grande culture et de plus, entouré par une famille très intéressante. Sa dernière femme était ma meilleure amie, elle l’est toujours d’ailleurs et deux de ses enfants sont devenus mon neveu et ma nièce. Ce sont des gens que j’aime énormément. Donc il a été une rencontre déterminante de ma vie, de ma carrière, de ma façon de voir les choses, de ma façon de comprendre les gens. J’ai eu une chance folle de l’avoir rencontré et d’avoir pu avoir cette relation avec lui qui a duré très longtemps et qui a été tout à fait tout à fait formidable
Il n’y a pas un jour où je ne pense pas à lui. Il avait en plus une culture étonnante et toujours une très grande modestie vis-à-vis de sa propre culture. Quand il ne savait pas quelque chose, il n’avait pas peur de le dire et vous posait des questions, il avait une curiosité permanente vers les choses et les gens, c’était un homme absolument passionnant.
Et qu’avez-vous aimé faire pour lui ? Pour vous c’était le premier client et vous avez peut-être pu exprimer tout votre art ?
Tout commence avec un projet démentiel engagé sur la côte Pacifique du Mexique en 1988. (J’ai travaillé pour lui de 1988 à 2017). C’était sa maison au Mexique qui était une propriété de 25 mille hectares au bord de la mer et qui n’avait jamais été développée auparavant. Goldsmith avait donc le souhait de construire une énorme villa alors juste un mois après je suis allé le voir à Paris. Nous sommes partis à Istanbul où je lui ai fait la présentation du projet sur un bateau « le Bosphore. » Et voilà, c’était parti, avec 2000 ouvriers nous avons construit deux cent mille mètres carrés de constructions, de buildings, de jardins, le tout réalisé en quelques années.
Est-ce que c’était difficile de rassembler tous les éléments de décoration au Mexique ?
Nous avons acheté des objets, des matériaux, partout dans le monde. Je crois que nous avions acheté quelque 2,5 kms de sari en Inde, à Delhy, des sculptures et des matelas qui provenaient d’Irlande, etc. Un énorme avion-cargo allait dans les quatre coins du monde et rassemblait tout ce que nous avions acheté. Tout arrivait au Mexique et nous avions tout à aménager dans la maison. C’était une aventure tout à fait étonnante.
Quel est votre projet préféré à ce jour ?
Je pense que mon projet préféré c’est le prochain.
Parfois le designer ne fait pas toujours ce qu’il veut réellement et il doit se plier un petit peu aux exigences du client…
C’est normal c’est pour ça que l’on existe ! Nous ne travaillons pas pour nous-même. Nous travaillons pour les autres. L’essentiel du travail est de comprendre la personne avec laquelle nous allons travailler et faire ce que cette personne souhaite. Ce qui est le plus intéressant d’ailleurs, c’est de s’adapter aux goûts des autres, à des goûts qui sont différents des siens, avec des besoins différents des siens, avec des solutions différentes des siennes. C’est toujours plus intéressant je pense que de faire tous les jours la même chose, ce serait épouvantablement ennuyeux.
Qu’est-ce qui a vraiment déterminé votre passion pour le design ? Vous étiez intéressé par l’art…
Je ne sais pas, ça m’a toujours intéressé, je dessinais quand j’étais plus jeune, je dessinais plutôt bien. Mon œil était formé dès mon plus jeune âge à reconnaître les maîtres et les styles qui ont fait la renommée du goût européen. Je dessinais toujours des intérieurs de différents styles, j’ai toujours été assez versatile et pouvoir connaître les styles assez intimement m’a toujours intéressé comme une espèce de déclinaison de robes de romain, vous voyez. J’ai toujours été intéressé par l’art mais jamais exclusivement une période où une autre. Toutes les périodes m’ont intéressées, certaines plus que d’autres évidemment. J’étais très intéressé par l’histoire de l’art, la culture et c’était presque une évidence que j’allais devenir architecte d’intérieur décorateur.
Pouvez-vous me donner votre point de vue sur le design, est-ce que c’est un art où est-ce une science ?
Un peu des deux ! La construction est toujours une science parce que cela demande de la compréhension. Un art, c’est l’art de comprendre la personne pour laquelle nous travaillons, plus qu’un art gratuit. Il n’y a rien de gratuit dans la démarche du dessinateur, je pense, parce que l’on n’est pas devant une toile blanche ou une feuille de papier blanche sur laquelle, nous devons mettre quelque chose qui vient purement de sa propre imagination. Tout ce que l’on fait vient à travers la traduction de l’esprit de quelqu’un d’autre, donc oui le design est un art sûrement et une science également. A mon avis, c’est un art mineur, mais je ne peux pas dévaloriser le travail que je fais non plus.
Maintenant une question qui va peut-être vous surprendre un petit peu et qui sera probablement ma dernière question, « vous avez participé à un concours et vous devez concevoir la première maison sur la planète mars construite pour la vie humaine », A quoi ressemblerait votre projet ?
Certainement pas quelque chose de classique, sûrement pas quelque chose comme ma maison par exemple. Ce serait évidemment aussi lié à la personne pour laquelle je le ferais.
Et aux conditions d’environnement aussi…
C’est essentiel ! Les conditions d’environnement sont évidemment des éléments que l’on doit absolument respecter. Je pense aussi que pour la création, rien ne vient de rien, que tout a une histoire et une généalogie et que donc ce serait intéressant si nous faisions quelque chose dans un univers différent du nôtre, sur une planète différente, et d’y amener quelque chose qui existerait, une chose ancienne du passé. Je pense que c’est important.
Cet article a été traduit en anglais par Marie Pireddu.