Published on septembre 11th, 2024 | by Isabelle Karamooz, Founder of FQM
0Maria Chapdelaine : Plus qu’une héroïne, c’est le symbole d’un mode de vie
« …voir mes hommes faire un beau morceau de terre… Un beau morceau de terre qui a été plein de bois et de chicots et de racines et qu’on revoit une quinzaine après nu comme la main, prêt pour la charrue, je suis sûre qu’il ne peut rien y avoir au monde de plus beau et de plus aimable que ça ». (1)
Louis Hémon est un journaliste et écrivain français, né à Brest en 1880, qui a connu l’art et la littérature parisiens de la fin du XIXe siècle. Une littérature qui a offert une représentation du monde réaliste et souvent les écrivains évoquèrent notamment des sujets de société comme le travail difficile des paysans. Il se rend au Québec à la recherche d’un roman décrivant la vie des Canadiens français et le trouve à Péribonka, situé sur la rive orientale isolée du lac Saint-Jean. Plus de cent ans plus tard, ce village isolé est toujours l’un des plus petits du Québec avec moins de 500 habitants. Pendant six mois, Hémon observe la vie quotidienne des paroissiens de Saint-Amédée de Péribonka et prend note du dialecte et des lexiques locaux qu’il considère comme similaires à ceux de la Bretagne, son pays d’origine.
L’héroïne qu’il a choisie, Maria Chapdelaine, est secondaire dans l’histoire de la vie des colons québécois de 1910. Maria Chapdelaine, personnage de fiction, a donné son nom à la région administrative située au nord du lac Saint-Jean. Le choix de l’héroïne entre trois prétendants et leurs aspirations différentes illustre les mêmes décisions que celles auxquelles étaient confrontés les paysans du Québec de l’époque : rester sur la terre ou émigrer. «C’était l’éternel malentendu des deux races : les pionniers et les sédentaires. » (2) Cette différence est bien illustrée par les deux jésuites, François de Crespieul et Charles Albanel, qui se sont installés dans la région en 1673. Crespieul demeura 30 ans dans ce pays de mission. Cependant, les explorations d’Albanel le conduisent à la baie d’Hudson et au lac Supérieur. Il mourra à Sault-Sainte-Marie en 1696. (3)
J’ai écrit sur la migration des Québécois vers Chicago dans cette publication, et a été intrigué par un roman basé sur une étude de cas de la vie rurale au Québec à la même époque. A voir : https://frenchquartermag.com/le-petit-quebec-du-xixe-siecle-de-chicago/?lang=fr
Maria Chapdelaine est en fait deux livres en un. Le dialogue est purement québécois, mais la vue d’ensemble est le français de l’époque et de l’éducation de l’auteur. En fait, le Centre national de ressources textuelles et lexicales de l’Université de Nancy fait souvent référence à ce livre pour illustrer le vocabulaire québécois. Au début, j’ai trouvé cela déroutant, mais je me suis rapidement adapté au changement par rapport au français de l’Académie et à la langue familière des régions rurales du Québec. J’avoue être, au mieux, un intermédiaire en français et j’ai l’habitude de créer un glossaire de termes et de vocabulaire au fur et à mesure de mes lectures. Lire Maria Chapdelaine, Je n’ai pas avancé de plus d’un paragraphe avant d’être confronté à une leçon de grammaire centrée sur le verbe Gésir. «La neige gisait sur le chemin aussi, …» Finalement, j’avais créé un glossaire de 30 pages de termes dans l’ordre où je les avais rencontrés. Louis Hémon utilise une multitude de synonymes dans le but de renforcer l’expression d’une pensée. J’ai trouvé que le style de Louis Hémon pour décrire les coutumes et les habitudes de ses sujets rappelait Anthony Bourdain des temps modernes, et je peux imaginer Bourdain faisant cette même observation c’est Hémon qui l’a fait : « Les tutoyant du tutoiement facile du pays de Québec » Le tutoiement et l’informalité sont faciles au Québec mais la discipline familiale voulait que les enfants s’adressent à leurs parents sur un ton formel, vouvoyer.
Hémon explore les risques des vagabonds et les sacrifices des sédentaires, « leur éloignement et leur solitude». L’Église, souvent inaccessible, est omniprésente dans leur vie quotidienne car : «la soumission aux lois de la nature et aux lois de l’Église- toutes ces choses s’étaient fondues dans la même trame. » Le rituel familial de la cueillette des myrtilles en forêt pendant l’été est aussi pieux que de compter les prières sur le chapelet la veille de Noël alors que l’on est hiverné et que l’on ne peut s’aventurer à l’église.
Le chapitre XII traite de la visite de la famille à Honfleur. Honfleur n’est qu’à 8 miles, soit deux heures de traîneau, de leur maison, mais c’est aussi un monde à part. Honfleur (Sainte-Monique- de- Honfleur) était une communauté résidentielle et récréative planifiée, avec des lots arpentés sur lesquels les spéculateurs pouvaient investir. (4) Elle aurait apporté une diversité économique et culturelle à la région. Les spéculateurs venaient d’aussi loin que la France, l’Ontario et les États-Unis. La diversité économique s’accompagne toujours de frictions culturelles et en arrivant à Honfleur, la famille Chapdelaine a tout de suite découvert :
Leur aspect eût suffi à les différencier des autres habitants du village; mais dès qu’ils parlaient le fossé semblait s’élargit encore et les paroles qui sortaient de leur bouche sonnaient comme des mots d’une langue étrangère. Ils n’avaient pas la lenteur de diction canadienne, ni cet accent indéfinissable qui n’est pas l’accent d’une quelconque province française, mais seulement un accent paysan, en quoi les parlers différents des émigrants d’autrefois se sont confondus. Ils employaient des expressions et des tournures de phrases que l’on n’entend point au pays de Québec, même dans les villes, et qui aux hommes simples assemblés là paraissaient recherchées et pleines de raffinement. (5)
En fin de compte, ils ont conclu qu’une vie d’autosubsistance sur la terre valait mieux que ramasser les miettes des riches.
Ce que Hémon a choisi de ne pas écrire, ce sont les interventions que le gouvernement du Québec entreprend pour changer la vie des colons. Il y avait une usine de pâte à papier à Péribonka en 1910, lors de son séjour. Cette même année, le gouvernement du Québec interdit l’exportation vers les États-Unis de la pâte fabriquée à partir du bois coupé sur les terres publiques. Cette mesure a été le catalyseur du développement de l’industrie papetière au Québec. À l’arrivée de l’année 1929, Chicoutimi était une importante région productrice de papier en Amérique du Nord et, avec l’avènement de l’industrie de l’électricité, une importante région manufacturière. (6) Hémon était plus intéressé par le romantisme d’un mode de vie en voie de disparition que par l’industrialisation tardive de la région.
Maria Chapdelaine a fait l’objet de trois productions cinématographiques québécoises et la plus récente est une excellente cinématographie qui capture les vues d’ensemble de Hémon sur la caméra, ne laissant que le dialogue québécois à digérer. Avec l’aide de sous-titres coordonnés en français, le dialogue du roman est facile à suivre. Hémon décrit le travail des colons comme ça : « il s’attelait chaque jour de quatre heures du matin à neuf heures du soir à toute besogne à faire, et y apportait une sorte d’ardeur farouche qui ne s’épuise jamais,… » et procède à l’écriture des travaux des champs, « faire de la terre ». C’est tout cela que Sébastien Pilote a capturé dans son film. Les spectateurs ont mal au dos et suent à grosses gouttes, en faisant l’expérience de la terre. Ils sentent la faim qui grandit au cours du travail du matin et l’assouvissement de cette faim au cours du repas de midi. J’ai croisé les sections descriptives du livre de Hémon avec les scènes capturées par le réalisateur Sébastien Pilote dans le film Maria Chapdelaine (2021). (7) Pilote s’est appuyé sur les écrits de Hémon comme mise en scène pour réaliser le film et le résultat est un film de 2 heures et demie qui laisse le spectateur sur sa faim. Pilote a consolidé les seize chapitres du livre d’Hémon en cinq, mais rien n’est perdu dans la production du film. Ce document de référence et mon glossaire sont disponibles sur demande. Le livre et le film sont d’excellents outils pour enrichir le vocabulaire.
(1). Hémon, Louis. Maria Chapdelaine . Editions Caractere Inc. 2014, P 48
(2). Ibid : P. 38
(4). https://ville.ste-monique.qc.ca/historique
(5). Hémon, Louis. Maria Chapdeplaine. Editions Caractere Inc. 2014, P. 126
(6). Hébert, Jean-François ; LA PULPERIE DE CHICOUTIMI. UN SIÈCLE D’HISTOIRE, pp. 11-20. Chicoutimi : Musée de La Pulperie de Chicoutimi : Coutu, Guy “L’industrialisation du Saguenay—Lac-Saint-Jean,1896-1929.”
(7). Maria Chapdelaine, Un film de Sébastien Pilote : 2021, MK2-Mile End, Sphere-Media Proctions
Crédit Photo d’En-tête : Laurence Grandbois-Bernard