Published on mars 11th, 2023 | by Isabelle Vaurie
0Fabien Brial Raconte l’Histoire de La Réunion à travers 33 Cartes Historiques
Arrivé à la Réunion enfant, Fabien Brial se sent « réunionnais par conviction. » Son ouvrage La Réunion Au Fil Des Cartes, en format à l’italienne très adapté aux cartes, est réédité pour la 4è fois depuis 2016 et vient de sortir en français (une édition classique et une édition de luxe) mais aussi en anglais et en édition numérique (fin 2022). Un film est sorti en 2021 à partir du film en 52 minutes et 10 fois 6 minutes pour les écoles.
Si l’on peut imaginer qu’il s’agit d’un livre de géographie, puisqu’il rassemble des cartes de la Réunion – La Réunion Au Fil des Cartes est en réalité un livre qui nous raconte l’histoire de l’île. Les unes après les autres, les cartes dévoilent l’état de la connaissance du monde à leur époque, et nous indiquent aussi la représentation que les décideurs politiques pouvaient s’en faire. Il dévoile aussi l’évolution de la toponymie et explique certains noms attribués parfois pour flatter l’égo de certains.
Une bonne occasion d’interroger ce passionné qui a la volonté de faire connaître cette histoire au plus grand nombre.
Comment vous est venue cette idée d’un livre à partir de cartes ?
L’idée de départ m’est venu parce que j’aime les cartes bien sûr, et parce qu’on peut les faire parler, si on les lit bien, on peut apprendre beaucoup. J’aimais l’idée que cela soit une idée inédite, et je voulais surtout tenter de parler de l’histoire de la Réunion sur un temps long. Les îles de Maurice, Rodrigues et la Réunion sont des îles qui n’avaient pas de peuplement humain avant leur découverte par les Portugais, puis la colonisation des Hollandais puis des Français et des Anglais. Donc on part d’îles inhabitées et leur peuplement raconte leur histoire, les cartes racontent aussi ce peuplement. L’histoire récente apporte un éclairage sur une histoire plus ancienne. Ces cartes permettent une mise en perspective de la trajectoire de l’île et raconte aussi son identité, celle des différentes vagues de peuplement : une destination choisie, pour certains, mais imposée pour la plupart en raison de l’esclavage (aboli le 20 décembre 1848).
L’idée m’est aussi venu parce que la société d’aujourd’hui hérite de tout ça et ne le sait pas forcément.
Vous parlez d’héritage pouvez-vous préciser ?
Le métissage est un héritage très particulier à la Réunion, et la culture spécifique mêle les apports européens, asiatiques, africains et ce mélange est très singulier – c’est aussi celui des religions. L’héritage de la Réunion par excellence c’est la gastronomie qui en est le meilleur symbole : elle révèle ce métissage puisque la cuisine réunionnaise est au croisement des cuisines des cultures qu’on y rencontre. L’alimentation est centrale.
Vous me disiez que la réalisation du livre était aussi liée à des raisons plus personnelles ?
Oui, j’ai grandi ici, j’y ai fait mes études secondaires et en arrivant à Sciences Po. je me suis rendu compte que je n’avais jamais eu de cours d’histoire et géographie sur mon île, j’ai donc eu envie de faire partager ça. Malheureusement c’est encore un enseignement très limité aujourd’hui, beaucoup de Réunionnais deviennent adultes sans jamais avoir eu de cours sur leur territoire ni en histoire ni en géo, ni sur leurs origines. C’est selon moi une explication du problème d’identité qu’on peut retrouver ici chez de nombreuses personnes. Et cette question d’identité est plus cruciale qu’on le pense. Attention il ne s’agit pas de ne faire que cette histoire bien sûr, mais de faire travailler les élèves aussi sur cette histoire. L’histoire géographie ne doivent pas être centrée uniquement sur ce qui se passe dans le monde entier, les USA, l’hexagone, ou le Japon, mais aussi ce qui se passe dans l’Océan Indien et le monde Indo-pacifique. Les défis à relever ici doivent l’être en comprenant les spécificités d’ici.
C’est pourtant une île qui est dotée d’une université active ?
Oui, mais même à l’université ici il n’y a pas de cours proposé sur la question de l’esclavage à la Réunion ou sur l’histoire de l’île. Il est très bien d’avoir des spécialistes de questions européennes anciennes mais il serait bon de proposer quelques cours sur la Réunion et son histoire et son évolution.
C’est d’autant plus regrettable qu’il y a pas mal de défis à relever ici mais comment les relever sans avoir une idée précise de notre identité, de notre parcours et du moment dans lequel on s’inscrit ? Comment améliorer les choses pour l’avenir sans comprendre la trajectoire ?
Alors ce projet, et celui du film à partir de ce livre, est une contribution à la volonté de mieux faire connaitre cette histoire-là aux Réunionnais, aux scolaires, aux adultes mais aussi au monde de façon plus modeste bien sûr, mais pour qu’on puisse mieux comprendre ces îles. (*) D’où l’idée de la version numérique accessible de partout et sur laquelle on peut zoomer sur les cartes ce qui est un véritable atout.
Vous parlez de défis à relever, lesquels en particulier pour l’île de La Réunion ?
En vingt ans, la population de l’île est passée de 700 000 habitants à 900 000 donc elle a presque doublé en 50 ans ! Cette énorme augmentation se produit sur un territoire contraint, avec une superficie de 2 500 km2, dont 40% sont protégés de tout développement. La densité observée dans certaines zones est ainsi très élevée. La population continue de croître, mais le vieillissement progressif est désormais un enjeu majeur sur une île où 40% de la population vit sous le seuil de pauvreté – contre 14% en France métropolitaine. Cela représente beaucoup de défis à relever, sur le plan social et économique… La dépendance alimentaire de l’île est très forte du fait des importations… Le trafic est saturé – l’île est réputée pour ses embouteillages, mais il y avait +33 500 voitures en 2019 et les chiffres étaient encore en hausse en 2021. C’est un marché incroyablement énorme pour une petite île.
Pour ne rien arranger, le changement climatique menace les zones côtières, précisément les lieux qui concentrent les hommes et les activités. Plusieurs zones seront affectées par la montée du niveau de la mer et on assiste déjà à un déclin des plages, comme dans les autres îles des océans Indien et Pacifique.
Ce livre vous a fait voyager puisque vous avez participé à des salons puis à des festivals pour le film, que vous apportent ces rencontres avec les lecteurs ?
Les rencontres sont toujours une façon de percevoir comment l’ouvrage est reçu. Livre et film sont très bien accueillis, à la fois par des personnes qui connaissent bien l’île et d’autres qui ne la connaissent pas encore. Je suis allé en effet dans bien des lieux pour des rencontres, parce que ce qui compte à mes yeux c’est de faire connaître l’histoire de notre île. Ce qui m’a le plus touché, dans mes rencontres, c’est un détenu de la prison du Port, d’environ 40 ans, et qui m’a dit à la fin « c’est la première fois qu’on me parle de moi, de mon histoire. » Alors le livre a été offert au président Hollande quand il est sorti la première fois en 2016, au premier ministre et aux différents préfets, mais la réaction de ce détenu à cette rencontre a été très émouvante pour moi, il se sentait touché et concerné. Il ne connaissait l’histoire de son île, donc la sienne. J’ai retrouvé des réactions similaires auprès de personnes relativement âgées qui avaient ce même ressenti. L’insularité renforce le sentiment d’appartenance, ce sont des territoires spécifiques, certains n’ont jamais quitté leur île qui rappelons le fait 2.500 km carrés.
(*) L’auteur a aussi publié un ouvrage sur la Nouvelle Calédonie au fil des cartes et travaille actuellement sur un ouvrage sur Madagascar et un sur Maurice, les Mascareignes donc.