Published on décembre 15th, 2022 | by Isabelle Vaurie
0La Diagonale des Fous ou Grand Raid : Une Interview d’Antoine Trépant
Participant franco-américain, Antoine Trépant, 42 ans, est arrivé de St Germain en Laye dans les Yvelines avec sa famille pour le soutenir. Mais pourquoi cette course au lieu de vacances à la Réunion ?
Avant de faire la diagonale, quel a été votre parcours sportif ?
J’ai débuté dans un sport bien différent avec l’aviron, c’est ce qui m’a permis d’aller aux Etats-Unis et d’intégrer l’université de San Diego, CA et avec l’équipe j’ai décroché une médaille d’argent en compétition nationale aux USA. Puis j’ai glissé vers le triathlon et la course. J’ai participé à différents marathons, 2h45 en marathon, et puis je suis tombé dans l’univers du trail il y a 6 ans, en Californie et déjà à l’époque j’entendais parler de la diagonale des fous.
Vous vouliez déjà venir il y a deux ans, vous vous y êtes préparé comment ?
Quand j’ai voulu élaborer un plan solide il y a dix ans déjà, la vie professionnelle et familiale m’a rendu l’organisation plus difficile que prévu, je n’ai pas pu le faire à ce moment-là, mais j’ai décidé de vivre cette expérience un jour. J’ai commencé à m’entrainer pour la diag. en 2019 avec une course qui s’appelle la SantéLyon, l’un des plus vieux trails d’Europe, 80 km de nuit, St Etienne-Lyon début décembre, avec un temps épouvantable, pluie, grêle, etc. J’ai fini en me disant « plus jamais » mais j’y ai compris à quel point le trail nécessitait un entraînement spécifique. Et puis bien sûr, on récupère et le projet est revenu et dans la foulée… le covid a tout remis en cause. En attendant, j’avais compris qu’il fallait se préparer en prenant en compte les conditions climatiques en plus du reste.
Début janvier 2022, j’ai donc démarré une préparation rigoureuse, avec 3 courses clefs : avril dans les Vosges 50 km avec environ 3000 m de dénivelé, puis la course du lac d’Annecy, 90 km et 6000 de dénivelé en juillet l’ultra-trail du Mercantour : 125 km avec 8000 de dénivelé positif. Donc l’idée était d’y aller crescendo pour être affûté pour la diagonale des fous de ce mois d’octobre, 170 km pratiquement et un peu plus de 10,000 m de dénivelé positif. C’est plus de deux « Mont Blanc » aller-retour.
Qu’est-ce qui rend ce Grand Raid si unique ?
Il est mythique ! Tous ceux qui en parlent disent à quel point il est unique au monde avec son parcours extrêmement technique mais aussi l’ambiance qui est extraordinaire ! J’ai participé à des compétitions internationales en course et en aviron donc j’ai vu pas mal d’événements sportifs mais l’ambiance de la diagonale est hors norme, surtout le départ de St Pierre : sur près de 5 à 6 km on a une foule en folie qui nous encourage et cela m’a rappelé la foule autour du marathon de New-York, une effervescence qui vous porte. Ce qui est assez atypique de la culture française parce que pour le marathon de Paris (près de 40.000 coureurs donc plutôt plus que le marathon de NYC) l’ambiance dans les rues est assez tristounette pour être honnête. Là, à de nombreux endroits il y a des gens qui viennent vous encourager, certains ne courent probablement pas, n’ont personne qui fait la course mais ils sont là quand même, c’est très touchant, il y a quelques petits groupes qui jouent de la musique même. C’est tout cet ensemble qui le rend unique !
Vous êtes arrivé dans le premier tiers 763è sur 2756 inscrits, alors que vous comptiez être dans la première moitié, bravo, mais quel est votre bilan personnel après cette course ?
J’ai réussi à très bien gérer ma course, j’avais eu des tendinites dans le Mercantour. Là, je voulais finir le Grand Raid en un temps raisonnable, j’espérais 45 à 46 heures et j’ai pu le faire en 46h36 min. Donc c’est un bilan très satisfaisant, et surtout sans blessures… il y a 32 % d’abandons, je ne voulais pas en faire partie, c’était hors de question. Et j’avais ma famille et des amis, une super équipe derrière moi, je voulais aller jusqu’au bout pour eux aussi, le soutien compte vraiment beaucoup. Et puis le bénéfice est que les habitudes que j’ai prises en matière d’alimentation et entrainement vont me rester, je me sens en meilleure santé, j’ai supprimé des choses et ressens un mieux-être ; donc le bilan est aussi qu’il restera quelque chose au-delà de l’aventure, qui est que je sais jusqu’où je peux aller et que j’ai une meilleure hygiène de vie dont je vois les bénéfices sur le plus long terme.
En effet, 869 ne sont pas arrivés jusqu’à St Denis, cela représente un pourcentage élevé. Vous disiez que la préparation est vraiment spécifique, pourriez-vous préciser en quoi ?
La préparation sportive ne ressemble en rien au travail que je faisais si on compare à la course sur route, car il faut cadencer et fractionner, et travailler le dénivelé, mais aussi faire un travail en salle pour renforcer les zones fragiles pour éviter les blessures. Dès qu’on va puiser au-delà de 7 à 8 heures on s’affaiblit et on prend des risques de cassure. Bien plus que sur route.
J’ai aussi travaillé le mental, parce qu’il fait la différence, on ne fait pas un grand trail comme un marathon. Les entraînements m’ont aidé à me transcender, et les différentes courses m’ont aidé à aller puiser dans mes réserves, et à mieux me connaître. C’est vraiment ça, on repousse ses limites. Et il faut adapter l’alimentation sur le long terme, manger autrement, pour avoir les bonnes ressources et avoir un très bon gainage, c’est essentiel, à cause des dénivelés et des difficultés de la course.
Manger autrement c’est-à-dire éliminer beaucoup de choses ?
Pas pour moi, je ne me retrouve pas du tout dans les diètes radicales, je mange de façon variée et équilibrée, un peu de tout tout le temps, mais j’ai très nettement réduit ce qui favorise les états inflammatoires, en particulier la viande rouge et les produits à base de lait de vache (j’ai pris du lait de brebis ou d’amande) et j’ai été très strict les 6 mois qui ont précédé la course. Il faut bien 6 mois dans mon cas pour savoir ce qui marche ou pas. Je n’abuse de rien, c’est surtout ça qui compte.
J’ai eu l’aide d’une nutritionniste qui m’a par exemple expliqué que les oeufs avaient des vertus en matière de regain de lucidité, j’ai trouvé ça amusant, j’avais donc toujours un ou deux oeufs durs dans ma besace et dans des moments de baisse de régime la nuit dans des zones techniques, j’ai mangé un oeuf dur! Je n’ai pas eu d’accident, peut-être est-ce grâce aux œufs! En tout cas les trailers en consomment.
J’ai aussi un ami ostéopathe qui m’a recommandé des sels minéraux en cure, parce que quand j’ai eu des problèmes dans le Mercantour j’étais déshydraté (il faisait très chaud déjà la veille) et je manquais de sels minéraux d’où les tendinites. Après un certain nombre d’heures à courir on perd beaucoup d’eau donc il faut des apports en minéraux. J’ai mangé beaucoup de légumes cuits dans la période avant la course, des fruits pour les vitamines et des sucres lents avec pâtes et riz. Pendant la course, sodium, eau, et manger à sa faim, sinon le corps ne résiste pas sur la période d’entraînement ni sur la course. Mais chacun doit trouver ce qui lui convient le mieux.
Vous disiez tout à l’heure que l’ambiance y était très particulière ?
Oui, vraiment! Sur la diagonale, il y a un nombre de bénévoles incroyable et ils sont très pro, ils nous aident à nous sentir comme de vrais champions, et il y a une communauté très fédérée dans les coureurs de trail, on est moins dans le chrono car tous les coureurs savent que la vraie prouesse c’est de finir et c’est certainement ce qui change profondément l’atmosphère. C’est quand même une course de l’extrême… et quand on voit les gens couchés le long du trail parce que dans la nuit ils sont épuisés et n’ont pas pu rejoindre le prochain point de ravitaillement, on sent à quel point la nature nous rappelle à l’ordre. Alors on s’entraide et on se soutient bien plus que sur une course type marathon. Cela nous engage bien au-delà de trois heures, c’est plutôt sur deux voire trois jours! Et on court de nuit, c’est aussi une ambiance particulière.
Crédit Photos : Antoine and Ursula Trépant
En tout cas les organisateurs de la diag. ont toujours refusé de rejoindre le circuit mondial de L’Ultra-Trail World Tour pour garder son authenticité et son indépendance, et ça fonctionne !
On peut quand même se demander ce qui attire les coureurs pour ces trails qui sont si extrêmes, quelle serait votre explication ?
Quand on a fait beaucoup de courses, on a envie d’explorer nos limites autrement. Pour moi, faire un marathon en 2h25 au lieu de 2h45 n’est pas vraiment intéressant, la préparation et tout ce qui est autour reste identique. Donc il y a cette notion de défi, de puiser en soi pour repousser nos limites et apprendre à se connaître encore mieux. Mais je comprends qu’on se demande pourquoi un truc pareil! Pour ma part, ce qui m’a vraiment permis de comprendre pourquoi on fait un tel projet aussi extrême, c’est l’extrait d’un livre qui s’appelle The Rise of the Ultra Runners, d’Adharanand Finn : « La plupart du temps nous existons dans un monde construit où tout est fait pour maintenir notre confort et nous préserver des aspects les plus crus de la vie. (…) Nous sommes coupés de notre nature mais bien au fond de nous il y a cette envie de refaire l’expérience de la vie en dehors de la civilisation. Les Ultra-trails réveillent en nous une « mémoire génétique » et nous apportent cet intense sentiment d’exister. Quand on a couru 24h dans les montagnes tout ce qui est organisé cesse d’exister. (…) on est dans la survie, la vulnérabilité et c’est là qu’on prend conscience d’exister. » Ca résume je pense ce que les trailers ressentent.
Merci pour cet éclairage, et vous pensez refaire la diag. ?
Ce n’est pas l’envie qui manque, mais autour il y a toute l’organisation et la préparation, qui est exigeante et avec la vie de famille, une famille qui m’a formidablement encouragé et soutenu (j’ai trois jeunes enfants) et un travail très prenant, c’est difficile à organiser et pour le moment, compliqué à prévoir. Mais l’envie est là !
Merci pour ce témoignage, et encore bravo !