Published on octobre 18th, 2024 | by Isabelle Karamooz, Founder of FQM
0Collage : Adhésion aux principes fondamentaux de la sémiologie
« C’est le bricoleur qui est le premier explorateur, qui tente de nouvelles stratégies, qui ouvre de nouvelles voies… » (1). La définition française de bricolage n’est pas aussi valorisante que son équivalent anglais. Bricolage : « Quelque chose de construit ou de créé à partir d’une gamme diverse de matériaux disponibles » (2). Pour l’artiste, la recherche et l’expérimentation de nouveaux produits et supports ne relèvent pas du bricolage au sens français du terme.
En 2021, j’ai écrit sur Fernande Saint-Martin et sa contribution à l’art québécois en tant qu’administratrice et académicienne (voir : Fernande Saint-Martin : Québec’s Gertrude Stein). Pendant trois ans (1955-1957), elle et son compagnon de vie, Guido Molinari, ont dirigé une galerie d’avant-garde à Montréal. L’Actuelle et l’Association des artistes non-figuratifs se consacraient à la promotion d’un style d’art émergent, communiquant non pas par des figures discernables, mais par des couleurs, des formes et des lignes.
Récemment, j’ai découvert l’existence d’une galerie à Plémet, en France, dédiée à la promotion du collage, une discipline artistique vieille de 400 ans. Depuis 1994, le Musée de l’art du collage est dirigé par deux partenaires, l’écrivain Pierre Jean Varet et la collagiste Sylvia Netcheva (Musée Art Colle). Tout comme Fernande Saint-Martin, sémiologue et défenseur des artistes non-figuratifs, Monsieur Varet utilise ses talents d’écrivain pour promouvoir la forme d’art préférée de sa compagne. Les arts émergents ont besoin de défenseurs.
Qu’est-ce que le collage ? Dans une définition simplifiée, le collage est une œuvre d’art où des morceaux de papier sont collés sur une autre surface, telle qu’une toile ou une feuille de papier. Selon le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) : « Composition surréaliste ou cubiste réalisée au moyen de diverses matières (souvent des papiers découpés) collées sur une toile ou intégrées à une partie peinte ». Lors de l’exposition de février 2014, Geste et fragments, le Musée d’art contemporain de Montréal a décrit le collage ainsi :
« Le collage est l’une des rares pratiques artistiques qui navigue allègrement entre ce que nous définissons comme grand art et art populaire ; ou plus carrément, comme art versus artisanat. Le collage se nourrit de la pléthore d’images produites par la société contemporaine ; il s’approprie ses déchets, absorbant tout et n’importe quoi dans son champ visuel. Il propose à l’éphémère une nouvelle signification par la recontextualisation. » (3)
Le collage n’est souvent pas une simple mosaïque de papier découpé, mais peut utiliser des matériaux divers pour enrichir une surface peinte. C’est un art bâti ou créé à partir de divers objets disponibles. Les Français n’ont pas seulement donné un nom à ce genre artistique, ils l’ont aussi nourri. Les cubistes, Georges Braque et Picasso, furent parmi les premiers à incorporer des morceaux de papier journal ou de papier peint dans leurs œuvres. La production de papier à la fin du 19e siècle a rendu ce matériau accessible. En France, l’adoption de la loi sur la liberté de la presse en 1881 a permis la prolifération des journaux, rendant ces expérimentations matérielles plus accessibles.
Les progrès réalisés au début du 20e siècle, notamment dans l’utilisation de l’acrylique comme adhésif, ont révolutionné l’art du collage. Ce matériau a permis une meilleure conservation des œuvres, comme l’illustre un événement de 2017. Le sous-sol de l’atelier de L’OR a été inondé après la rupture d’une conduite d’eau. Une peinture, entièrement submergée par l’eau et la boue, a néanmoins été restaurée sans nécessiter d’adhésif supplémentaire (9).
L’association des artistes non-figuratifs rejette l’utilisation de figures discernables, laissant au spectateur l’interprétation finale de l’œuvre. Je me demande ce que Fernande Saint-Martin penserait de l’utilisation de photos découpées dans un collage pour exprimer une idée. Selon elle, une image, même représentative, découpée et apposée sur un collage peut transmettre un nouveau message implicite. Dans De l’image fabriquée à la fabrication de l’image, Michel Parent observe que ces images découpées, intégrées à une nouvelle composition, deviennent des signes porteurs d’une pensée sociale ou politique (8).
Les collages ne sont pas toujours constitués de figures visibles, respectant ainsi les principes des artistes non-figuratifs. L’artiste québécoise L’OR, par exemple, utilise souvent des morceaux de papier décoratif déchiré pour ajouter une texture particulière à ses peintures abstraites. Si elle ne trouve pas la feuille parfaite, elle en fabrique une. Dans une de ses œuvres, elle a collé des parties de la jupe d’un personnage féminin et utilisé un médium acrylique pour lui donner une forme tridimensionnelle.
Pour en savoir plus sur l’art du collage de L’OR, voir :
Notes
- Semetsky, Inna. The Edusemiotics of Tarot: Recovering the Lost Feminine.
- Oxford English Dictionary.
- Geste et Fragments, commissaire : Lesley Johnston, Musée d’art Contemporain de Montréal, 6 février 2014 – 27 avril 2014.
- Vauxcelles, Louis. Le Fauvisme, Éditions Olbia, Paris, 1999.
- L’histoire des adhésifs remonte aux Néandertaliens, mais dans le domaine artistique, c’est l’acrylique qui a révolutionné la pratique du collage au 20e siècle.
- Vie des Arts, Montréal, No. 229, Hiver 2012-2013.
- Saint-Martin, Fernande. De l’image fabriquée à la fabrication de l’image, Vie des Arts, Montréal, Vol 24, no 96, automne 1979.
- Parent, Michel. De l’image fabriquée à la fabrication de l’image.