Published on avril 15th, 2021 | by Isabelle Karamooz, Founder of FQM
0Une Interview de Craig Carlson avec French Quarter Magazine
« L’auteur à succès du New York Times, Craig Carlson, est arrivé pour la première fois en France en tant qu’étudiant d’échange en 1985 et est immédiatement tombé amoureux du pays. Il n’aurait jamais pu imaginer que quelque trente-cinq ans plus tard, il serait le propriétaire de deux « American diners » à Paris et être surnommé «Le Pancake Kid» par les Français. Avec une formation en journalisme, Craig a étudié le cinéma à la prestigieuse USC School of Cinematic Arts, utilisant son expérience de scénariste pour rédiger ses premiers mémoires, Pancakes in Paris: Living the American Dream in France. Craig et son mari Julien partagent actuellement leur temps entre Paris et Los Angeles. Enfin, au moins ils essaient de le faire. Avec deux « diners » qui les occupent bien et qui ne peuvent pas être laissés seuls trop longtemps, leur vie s’attarde plus du côté parisien, ce qui, bien sûr, n’est pas une si mauvaise chose, n’est-ce pas ?«
Pourquoi avez-vous décidé d’aller vous installer à Paris ?
Je suis venu à Paris pour la première fois en tant qu’étudiant d’échange en 1985. La langue française et le programme d’étude à l’étranger sont tous les deux arrivés dans ma vie par accident. J’ai grandi dans une ville duConnecticut où la classe ouvrière était majoritaire. Mon père insistait pour que j’étudie l’espagnol à l’école parce qu’il voulait savoir ce que les voisins de Porto Rico disaient à son propos. En sixième, quand mon enseignant m’a demandé quelle langue je voulais apprendre l’année suivante, j’ai d’abord répondu : « l’espagnol » ! A ce moment-là, les deux élèves les plus populaires de la classe, Ann et Dan (qui étaient ensemble depuis l’année précédente), sont intervenus en disant “Oh non, ne choisis pas l’espagnol ! Nous avons déjà choisi l’espagnol.” Je me suis tourné vers le professeur et j’ai répondu : “D’accord, alors je choisis le français.” Ce choix inattendu a changé ma vie pour toujours. Comme quoi cela peut avoir des avantages de ne pas être populaire.
Dès ma première classe de français, je suis tombé amoureux de la langue et j’ai rêvé d’aller visiter la France un jour. Ce rêve est devenu réalité quand je suis devenu un étudiant à l’université du Connecticut et que j’ai reçu une invitation inattendue à prendre part à un programme d’ année d’étude à l’étranger. En un clin d’œil, j’étais dans un avion pour Paris avec seulement 300 dollars en poche pour l’année entière. Je raconte ces deux histoires dans mon premier livre Pancakes in Paris.
Qu’est-ce que vous aimez le plus à propos de Paris maintenant que c’est votre ville ?
ll y a beaucoup trop de choses à énumérer. Évidemment, j’adore la gastronomie, la culture et la beauté de la ville en elle-même. Tous les jours, depuis que je vis ici, l’architecture et l’intimité des rues étroites de Paris me confortent dans mon choix, me remontent le moral et très souvent me coupent encore le souffle. Également en tant que parisien (et récemment légalisé citoyen français !), j’adore rencontrer et mieux connaître tous mes voisins. Par exemple, le patron de mon café préféré m’envoie toujours un message dès que mon plat favori est au menu. “Craig, il me reste deux aligots. Veux-tu que je t’en garde un ?” Et je réponds toujours très vite : “Oui ! Oui ! Je serai là dans 15 minutes !” (L’aligot est une spécialité française qui est faite à base de purée de pomme de terre mélangée avec du fromage du Cantal, souvent servie avec une délicieuse saucisse d’Auvergne poivrée). Ces échanges journaliers avec les habitants comme cet homme transforment une ville aussi grande que Paris en un semblant de village, chaque arrondissement ayant son propre caractère.D’un autre côté, j’adore la nature internationale de la ville de Paris. Oui, la plupart des métropoles dans le monde ont une population immigrante importante mais à Paris je trouve qu’il est beaucoup plus facile de s’intégrer aux personnes de cultures différentes. Par exemple, mon époux français, Julien, qui a appris tout seul le japonais (et m’a aidé à apprendre une phrase ou deux), est très impliqué dans la communauté japonaise ici à Paris. Très récemment, il a travaillé en tant qu’interprète lors d’ une conférence annuelle du Saké, où il est apparu très clairement que les japonais et les français ont beaucoup de choses en commun, particulièrement la même affinité en ce qui concerne la dégustation du vin.
Un autre aspect de ma vie en France que j’adore, est la facilité de se rendre dans les pays frontaliers depuis Paris.
Avant la pandémie, c’était tellement facile et très abordable financièrement de sauter dans un avion pour un week-end prolongé en Sicile De même pour le système de train à grande vitesse internationalement connu en France (le TGV) répandu dans presque chaque région du pays, nous permettant Julien et moi de filer dans la Riviera pour rendre visite à sa mère, quittant le climat froid et humide de Paris pour le soleil de la Méditerranée en seulement quelques heures !
Quand vous êtes arrivé à Paris, qu’est-ce qui vous a le plus impressionné ?
Je dirais une certaine qualité de vie. Venant d’une famille ouvrière, où mon père avait du mal à boucler les fins de mois, je ne savais pas qu’il n’était pas nécessaire d’être riche pour bien manger. Pendant mon année en classe de Première, j’ai fait ma première expérience des fameux “cinq plats par repas” que les familles françaises ont coutume de préparer quels que soient leurs revenus. J’ai vite appris le plaisir de rester assis à table pendant des heures, en prenant le temps de savourer des plats délicieux et en s’enrichissant des échanges humains. C’est ce qui importe le plus pour les Français. Pour moi, en tant qu’Américain, c’était Thanksgiving tous les jours !
Autre chose qui m’a impressionné quand je suis arrivé à Paris, ce sont les démonstrations d’affection. Ayant grandi dans la Nouvelle-Angleterre puritaine, je n’avais jamais vu des couples de mon âge s’embrasser sur les trottoirs ou pendant des heures sur un banc dans les parcs. Cela me semblait plus divertissant que de se saouler pendant les fêtes d’étudiants, ce que je voyais beaucoup aux Etats-Unis. D’un point de vue personnel, Paris m’a aidé à découvrir ma propre sexualité, à me sentir “bien dans ma peau” et ainsi plus tard à rencontrer mon mari.
Qu’est ce qui vous a poussé à écrire “Let Them Eat Pancakes” (“Laissez-les manger des pancakes”) qui a été publié en juillet 2020 ?
Quand j’ai fini mon mémoire, le bestseller sélectionné par le New York Times, Pancakes in Paris, l’éditeur a sponsorisé une tournée sur la côte Ouest. Pendant deux semaines, Julien et moi nous nous sommes arrêtés dans des douzaines de librairies de Los Angeles à Vancouver au Canada. A chacune de mes présentations, j’ai rencontré beaucoup de mes lecteurs et je voulais connaître toutes leurs histoires. Mon premier livre relate la création de mes restaurants américains à Paris. Let Them Eat Pancakes m’a permis de montrer comment la France a changé ma vie en profondeur et également comment ces deux pays, la France et les Etats-Unis, pourraient apprendre les uns des autres. En résumé cependant, Let Them Eat Pancakesest une célébration de la France et de sa culture qui peut transformer une vie. Pour moi, c’est comme avoir deux parents- un Français et un Américain. Je ne peux pas imaginer ne pas avoir les deux.
Par exemple, en tant qu’employeur français, j’apprécie la couverture universelle du système de santé, les cinq semaines de vacances pour chaque citoyen et la sécurité sociale qui permet aux Français de vivre plus sereinement que les Américains. Souvent comme c’était le cas pour mon père, ils vivent à un bulletin de paie près avec la peur de devenir sans abris.
D’un autre côté, la bureaucratie française et ses règles trop rigides peuvent vraiment freiner la créativité et la prise de risque. Le plus dur en tant qu’entrepreneur en France, est l’inflexibilité du système. Il est presque impossible de renvoyer un mauvais employé, ce qui souvent atteint moralement le reste de l’équipe et peut aussi atteindre le business en général.
Quelle est la chose la plus intéressante que vous avez apprise en faisant des recherches pour votre livre ?
Il y en a plusieurs. Tout d’abord une histoire amusante.Je ne savais pas qu’il y avait une saison dédiée à la chasse aux escargots en France. Je l’ai appris quand Julien et moi sommes allés voir sa mère qui vivait à Dijon à l’époque. Après un très bon repas dominical , nous sommes allés faire une promenade digestive. Sous la pluie, des escargots sont soudainement apparus, surgis de nulle part, aux pieds des arbres et dans l’herbe. En quelques minutes seulement la mère de Julien avait déjà ramassé plus de 250 escargots,pendant que Julien vérifiait en ligne que la saison de chasse à l’escargot avait bien officiellement débutée. Par chance, c’était bien le cas.
D’un point de vue plus historique maintenant, j’ai fait beaucoup de recherches à propos des événements de mai 1968. J’ai appris que cette période représentait beaucoup plus que de simples révoltes étudiantes mais que c’était une réelle révolution de la société française.
Par exemple, avant mai 1968, une femme n’était pas autorisée à ouvrir son propre compte bancaire, sauf si elle avait une autorisation signée de son mari ou père. J’étais aussi choqué d’apprendre qu’avant mai 1968, l’homosexualité était illégale. Ceci et beaucoup d’autres facettes de la société française ont changé en un mois. Voici aussi un des détails surprenants que j’ai découvert à propos de mai 1968 : la rapidité avec laquelle les mouvements de protestation ont démarré et se sont étendus.
Pour quelqu’un qui n’a aucune idée de ce qu’est « Breakfast in America » (Petit-déjeuner en Amérique), comment décririez-vous le restaurant que vous avez ouvert en 2003 et l’expérience d’un repas dans ce restaurant ?
J’ai ouvert Breakfast in America après avoir travaillé à Paris pour une série télévisuelle internationale pendant trois saisons. Quand la série s’est terminée, je savais que je ne voulais plus vivre à Los Angeles (où j’ai obtenu mes masters en cinéma), mais m’installer à Paris. Mais pour faire quoi? En bref j’ai eu un moment de révélation aux Etats-unis alors que je savourais un copieux petit-déjeuner américain. C’est là que j’ai réalisé que c’était ce qui me manquait en France. C’est pour cela que j’ai voulu ouvrir le premier « petit déjeuner américain » bien que n’ayant aucune expérience en restauration et en business. De plus, j’ai décidé d’ouvrir mon restaurant dans un pays étranger qui était aussi la capitale culinaire du monde. Comment mon rêve est devenu réalité est le propos de ces deux livres.
Depuis le début, mon objectif pour Breakfast in America était de relier ces deux mondes. Pour les Américains vivant à l’étranger (ou en vacances), mon restaurant est un peu comme “à la maison” et satisfait leurs envies de plats copieux américains. Pour les Français (qui constituent 70% de la clientèle), le restaurant est l’opportunité de découvrir un aspect des Etats-Unis ou de se remémorer leurs souvenirs de voyage aux Etats-Unis. Un de mes amis français, qui voyage souvent aux Etats-Unis, m’a dit “Le petit-déjeuner est le seul repas que les Américains savent bien faire !”
Il y a une chose qui m’inquiète cependant : avant même la pandémie, les “American diners” (restaurants traditionnels américains) ont commencé à fermer partout aux Etats-Unis, remplacés par des chaînes de fast-food (nourriture rapide) plus à la mode. Ironiquement, Breakfast in America préserve la tradition de nos restaurants sur le bord des routes mais de l’autre côté de l’océan dans la Ville des Lumières.
Pensez-vous que les restaurants de Paris sont meilleurs ou pires que lorsque vous êtes arrivé en France?
Je dirais un peu des deux. D’un côté, pour mes amis végétariens ou ayant des allergies alimentaires, il y a beaucoup plus de choix qu’avant dans les restaurants parisiens. Par exemple, quand Julien a décidé d’être végétarien pendant quelque temps , il disait que les seules choses que la plupart des brasseries et cafés français offraient étaient des frites, des haricots trop cuits servis avec un peu de riz ou des pâtes natures. Maintenant, la plupart offre une sélection beaucoup plus variée de plats “santé,” ou sans gluten, etc.. ce que l’on a incorporé dans notre menu.
De façon plus négative, j’ai remarqué que Paris semble être en train de perdre l’équivalent des “diners américains » aux Etats-Unis : les cafés et les brasseries servent de moins en moins de nourriture traditionnelle française. Par exemple, une brasserie du 5ème arrondissement que je fréquentais pendant des années avait un menu de spécialités françaises, comme le confit de canard, la blanquette de veau et le cassoulet. Petit à petit, chacun de ces plats a été remplacé par une nouvelle saveur de burger, jusqu’au jour où les seuls plats français restant étaient steak frites et salade niçoise.
En tant que patron d’un “diner américain,” j’étais horrifié de ces changements et j’ai commencé à me sentir coupable en pensant que mes restaurants avaient peut-être joué un rôle dans ce changement. Mais je me suis rappelé que mon objectif primordial était d’importer le « diner américain » à Paris, pas les burgers. En fait, quand j’ai ouvert mon premier restaurant, je voulais qu’il devienne un antidote contre les chaînes comme McDonald’s ou Subway, qui se multiplient dans toute la France. C’est la raison pour laquelle initialement je ne voulais pas servir des burgers, juste des pancakes, du bacon, des bagels et d’autres spécialités américaines. Ironiquement, ce sont mes clients français qui ont insisté pour que je serve les vrais “amburgers” comme ils disent (les vrais hamburgers, pas ceux des fast-food). Apparemment, il y avait déjà quelque chose dans l’air, je pense que les films et/ou séries américaines ont influencé la demande des jeunes français pour déguster de vrais « amburger » !
Quel rôle pensez-vous que les critiques gastronomiques tiennent maintenant que tout le monde peut critiquer via Trip Advisor, Yelp ?
C’est une bonne question. Je pense que d’un côté cela aide le business : beaucoup de nouveaux clients, particulièrement américains, découvrent Breakfast in America grâce aux commentaires publiés sur Yelp ou Tripadvisor. Cependant, comme vous l’avez dit, tout le monde peut être « critique » et ce genre de forums a de ce fait des impacts négatifs. Par exemple, il arrive que je serve un client qui ne sera jamais satisfait quoique je fasse. De la façon dont ils expriment leurs demandes constantes, je peux sentir d’avance qu’ils sont déjà en train de formuler des critiques cinglantes dans leur tête. En général peu de temps après qu’ils soient partis, leurs commentaires négatifs apparaissent sur tous les réseaux sociaux, en n’omettant pas de “tagger” le restaurant afin que personne ne l’ignore.
Malheureusement pour nous, il est très dur de se défendre contre ces personnes qui aiment dénigrer les restaurants sur internet. (Facebook par exemple, ne nous permet pas de supprimer ce que l’on pense être une remarque injuste). De plus, la recherche rapide de la personne qui a posté une critique très négative, montre très souvent que cette même personne a posté ce genre de remarques sur de multiples profils, ne laissant aucun restaurant à l’abri de ses critiques. Heureusement, le public semble être de plus en plus au courant des “trolls” (personnes abusant d’internet pour causer du tort à autrui) et prend le temps de regarder les revues qui sont globalement objectives avant d’émettre une jugement trop hâtif.
Quel est votre quartier favori à Paris ? Vos films préférés à propos de Paris ? Nous savons que vous avez un master en production cinématographique à l’University of Southern California, que vous avez également été scénariste et que votre travail a été réalisé.
Mes réponses à ces questions sont en fait toutes connectées. Mon quartier préféré à Paris est le 5ème arrondissement, principalement parce que c’est un lieu que l’on retrouve dans la plupart de mes films favoris et des cinémas d’art et d’essai. C’est ici à Paris, en tant qu’étudiant d’échange que mon histoire d’amour avec le cinéma a commencé, me poussant par la suite à déménager à Los Angeles pour étudier le cinéma à l’University of Southern California.
Quelques uns de mes films préférés, tournés à Paris sont : Les Quatre Cent Coups de François Truffaut, À Bout de Souffle de Jean-Luc Godard, Diva, (un de mes favoris des années 80, que j’ai vu pour la première fois quand j’étais étudiant d’échange) ; Hôtel du Nord, un film français classique de 1938 ; et également Paris, Je T’aime, crée à partir de 18 courts métrages de réalisateurs de renom, mon préféré étant celui qui est tourné dans le 14ème arrondissement.
En tant que cinéphile inconditionnel et scénariste, mon rêve est de créer un jour une adaptation de mes livres au grand écran, connectant les deux plus grandes passions de ma vie: le cinéma et les restaurants.
Une courte vidéo sur YouTube expliquant comment j’ai eu l’idée de Breakfast in America :
https://www.youtube.com/watch?v=JhePTs_3CJE
Un lien vers Pancakes in Paris sur la liste des meilleures ventes du New York Times (# 9 Travel) :
http://www.nytimes.com/books/best-sellers/2016/10/01/travel/?action=click&contentCollection=Books&referrer®ion=Header&module=ArrowNav&version=Right&pgtype=Reference
Un lien vers Let Them Eat Pancakes sur la liste « New and Noteworthy » du New York Times :
https://www.nytimes.com/2020/07/14/books/review/new-this-week.html
Cet article a été traduit en français par Marie Parant Squires.